Bah écoute, allez. C'est pas comme si j'avais autre chose de prévu.
Où es-tu ce soir ? J'ai perdu la trace de ta présence dans le bleu. Un tonnerre au loin annonce l'eau. Je vais mouiller cette soie - puisse-t-elle me coller à jamais, en souvenir de cette chaleur : toi, sous la caresse.
C'est amusant, le silence de la mode, c'est ce qui me frappe le plus : je le sens je l'entends je le vois. C'est une question d'époque, peut-être. Perec écrivait ceci dans les années 80, ça devait être assourdissant pour lui. Mais j'aime quand même l'idée que la mode soit furieuse au sens tourbillonné qu'on peut donner d'un ouragan d'un déplacement d'air d'une force inouie qui emporte tout - une toupie géante qui danse sur la pointe d'un diamant. Hors le larsen il y a pourtant expirations, soupirs - longs, suspendus. Ca me fait vibrer d'imaginer les évanouissements de la beauté, ces évanescences d'extrêmes ralentis et cette quête de grâce comme les respirations lasses d'un ressac sur les ruines d'un chateau de sable.
J'ai envie de me tirer une balle :)))
Aujourd'hui est né le collectif autogéré des couturières de Belleville, la Filasse, sous le regard bienveillant de Clara Lemlich et de Rose Schneiderman - deux femmes auxquelles je me suis interessée pendant mon séjour à Montréal et que j'ai retrouvé par hasard à Paris. Il me semble que la démarche est pertinente, qu'elle nous permettre de pratiquer une basse-couture, issue du plus profond caniveau - et une recherche du sublime, dans l'acte d'être ici, présentes, ancrées dans le bonheur du coudre ensemble et de draper le monde dans son propre déchet.
Une sorte de pause où ma respiration semble impossible à réactiver. La peur qu'il te soit arriver quelque chose. Tu étais partout dans mes rêves, drapée dans ta seule peau et nous l'avons couverte de fluides cette robe - à Londres, dans l'attente d'un défilé qui devait changer nos vies. J'ai laissé un bout de moi là-bas avec toi. Dans le blanc de ma couette ce matin, je la cherche - l'expiration. Je ne trouve rien que l'apnée, une terreur lente et plissée dans les recoins de mon insécurité. Si je ne sors pas de cette douche ancrée pour de bon - il est 6h à peine - je vais laisser passer l'occasion de terminer ce que j'ai laissé pendre sur le mannequin, cette promesse que je me suis faite de finir chaque semaine un ouvrage que je pourrais porter et qui me permettrait d'apprendre une chose, une seule. Le temps semble s'effacer - des absences dont je ne maitrise plus la texture. Mon coeur bat très vite. Je compte chaque espace. Dis moi quelque chose.
Un geste dans l’intention, dans son mouvement qui dit l’intention, dans un déplacement qui expose l’intention, qui la distille et la célèbre dans sa plus que parfaite déclaration, l’intention. Dans une déflagration vers l’autre qui n’en finit pas d’éteindre sa flamme. On brûle tout ce qu’on a dans ce déplié de bras, de main, de doigts pour trouver l’artère où pulse encore le désir. Vers, envers, et dans la réciprocité, dans l’activité commune de se rejoindre depuis deux extrémités, on trouve le noeud du soin à l’autre - un ballet interdépendant où chacune se guide. Tout hiérarchie détruite dans cet acte de partage - vulnérabilités dans un enlacement. Des gestes conscients. Quand, stoppés dans leur ascension, ils excèdent les limites du corps, de la peau. Se transmettre dans une couleur, dans une associations de formes et d’engagement. Du sensible visible, jamais dénaturé par l’anonymat -
        D’une révélation qui se découvre chaque fois dans le même toucher.
Une robe m'a appris le respect. Une semaine passée à ses pieds, autour d'elle, entre ses bras. Aujourd'hui dans l'atelier, je me suis assise pour finir les coutures secrêtes et tendre un trait de laine entre les omoplates, là où doit se faire le tombé des épaules. J'ai laissé pendre la maille, pour souligner he ne sais quelle gravité. Vers. Je la sens pleine de vie, digne d'exister dans sa faible lumière. Elle qui me dit que non, je ne suis pas en train de mentir. Si j'apprend patiemment de moi-même la rigueur d'une pratique, d'une expression que j'approcherai avec toute la grâce possible, je pourrais attendre la mort heureuse. Pour la première fois, je n'ai pas ressenti haine, impatience, jalousie et terreur du travail à faire. J'ai senti tout mon corps en extension, les muscles, le souffle. J'ai accepté de la laisser me dire, à travers les doigts : son unique forme, exfiltrée de ce qui glisse.
        Demain matin, j'irai l'humecter de rosée, promenée dans l'herbe qui s'éveille.J'ai fini ma robe en ailes déchirées et je l'ai drapée à nu et j'ai trouvé le mouvement autour de mon corps nouveau et j'ai pointé le pied sur le bois là où se fait la jonction et soudain la diagonale et soudain la traversée dans le biais - irriguée des pointes et des enroulements légers, le souvenir d'une structure - pelures dépecées, le cadavre d'une grâce égarée dans la nuit profonde de sa propre soie.
En retraite face à mon mannequin Matisse, l'esprit qui gémit des micro-plaintes que j'ai compris venir des tréfonds de Take on Me, je taille avec mes doigts dans une soie patinoire, en biais et ça m'éclate. J'ai l'impression de glisser en toi, de me livrer corps et âme à toi, de me laisser prendre toute entière dans ce qui tremble de toi, dans le convulsif. L'ouvrage : une sorte de quoi, de chose suspendue, une traine, des seins qui se dévoilent à peine et l'échancrure qui nage les clavicules. C'est plus maladroit que tout ce que j'ai jamais rêvé pouvoir faire et j'ai l'impression que c'est la chose la plus sincère sortie de moi depuis des années. Une sensualité presque invisible, des voiles, du flou construit qui relie deux bouts en toilette pudique ou bien. Assise par-terre, satisfaite de ma propre incapacité à faire quoi que ce soit qui ait un sens, je me dis que je suis enfin là où je dois être, au milieu des tissus en bordel de chaos et mes ciseaux d'or et mes fils et mes chutes et mes cheveux et mes hanches et mon cul et toutes ces fringues dont il ne reste que les reliques d'architecture. Des ruines de vêtements.
    Ah mais.
        Oui.
Je relis Emily Dickinson, et je trouve un article passionnant sur sa robe blanche.
Et je pense à son poème 617.
        Don't put up my Thread and Needle—
        I'll begin to Sew
        When the Birds begin to whistle—
        Better Stitches—so—
        These were bent—my sight got crooked—
        When my mind—is plain
        I'll do seams—a Queen's endeavor
        Would not blush to own—
        Hems—too fine for Lady's tracing
        To the sightless Knot—
        Tucks—of dainty interspersion—
        Like a dotted Dot—
        Leave my Needle in the furrow—
        Where I put it down—
        I can make the zigzag stitches
        Straight—when I am strong—
        Till then—dreaming I am sewing
        Fetch the seam I missed—
        Closer—so I—at my sleeping—
        Still surmise I stitch—
Alors un point projet après quoi ? Six mois depuis le début de cette chute lente et profonde pleine de couleurs et de textures et de petits trous sanglants au bout des doigts. Je crois que je suis passée par toutes les phases de l'artiste adolescente (sans jugement) - des étages d'immeuble avant le trottoir qui se rapproche. Comme je te disais : le niveau BTS de la couture au bon endroit, la fixette Beaux-Arts sur la peau intime et hier la réalisation soudaine que tout était là depuis le début, le mot, le dessin, le pli et je relis Novalis comme quand j'avais 17 ans et je comprends que j'ai traversé cette existence en pleine inconscience, somnambule et je ne sais par quelle opération du ciel je suis encore en vie.
Je me suis réveillée différente. Apaisée dans mes choix - un peu enrhummée. Une envie d'indicible nouée quelque part. Besoin de faire face à cette non-existence, moi toute seule ---- face à moi-même. Mentalement, je le cousais, ce vêtement dont j'ignorais tout. Sa silhouette, ses cicatrices. J'ai vu se dessiner un col, une emmanchure, une manche. Je savais où me poser pour le tenir. Comme si les gestes et les techniques que j'ai apprises depuis six mois (déjà !) prenaient corps ensemble, hors patron. J'ai ouvert mon sac de tissus, j'en ai choisi un, un peu élastique - une patinoire, tu dis. Ca se déforme, ça glisse sous l'aiguille, ça m'oblige à mettre des épingles partout, à renforcer le bâti. Je me suis activée, avec des gestes déterminés à défaut d'être cohérents. J'ai posé le tissus, je l'ai observé glisser, j'ai pris ce temps long pour qu'il me dise ce qu'il voulait être. Et je l'ai taillé, j'ai trouvé ses lignes, ses déchirures, là où je devais le guérir, où lui faire mal. Je suis revenue à la table de travail, le dessin, la machine, j'ai trouvé le sens de la découpe, instinctivement guidée par ce qu'il me racontait. Il a changé d'état, il m'a changé d'état. Il m'a accompagné toute la journée et de lui, ce soir, est sortie une présence. C'est pas grand chose, mais ça existe. Ca tient. C'est vivant. Ca me dit quelque chose du futur, de l'apaisement. Je ne sais pas trop si je peux le porter, je crois que les tailles et moi ça va prendre un peu de temps. Mais je le regarde là, pendant que j'écris ça et il ne tombe pas en miettes, il ne me hurle pas dessus des horreurs, il me renvoit pas ma misère. Il existe, dans sa matière. Il n'est plus tout à fait seul.
ÈDIT : je peux le porter, j'ai juste une manche à agrandir :)
...................... en procession de pensées désordonnées et rhapsodiques, le tremblement d'une feuille, le bourdonnement d'une abeille, le soupir du vent et le lait de la lune - l'infini et l'éternel entre mes deux mains et dans ce corps vivant qui jour après jour recouds sa peau il y a du profond, la trace d'une aiguille et le sillon du fil jusqu'au coeur, ça va toucher le fond, là où tout se dissout, là où ça ne se comprend plus, là où ça vibre de partout en tissus intime aux transparences, notre porosité, là où il y a tout qui nous relie, nouées tu vois. juste là.
          il reste une plage où se pose le baryton et sur ses lèvres                         oui
Son geste arrêté dans la montée du fil, un simple bouton recousu sur une veste grise et noire ysl, elle cille et fait voeu de poésie, là, dans son atelier. Elle prend conscience du moment, brusquement disparu - à jamais.
J'ai de plus en plus d'absences - espaces impossibles à enregistrer d'où émergent les enlacements froissés. J'entre progressivement dans une vie parallèle, en état de veille paradoxale - comme si ma conscience par défaut était rêverie intuitive des espaces entre. C'est peut-être là, dans cet état d'hébétude où je réinvente tout depuis la base, que je me donne enfin à moi-même - après des années de galère à ne pas saisir la portée du geste. Et toute trace du temps s'efface.
Dans le geste qui couds, dans celui qui drape et qui pince et qui donne forme à la forme, puis déforme et révoque toute présence, je trouve l'intime - ce rivage que j'ai fuis et sur lequel je m'échoue toute broken mais toute smile. Mes lèvres sont de sel, putain j'ai soif - j'ai tellement soif.
Devant ton miroir pas d'autre choix que d'exposer ce corps né de l'intérieur de moi et cette peau que je livre à tes mains. Mes bras à peine levés - tes ajustements sur la silhouette et je tremble de bonheur et j'attends que tu me tisses et je bouge comme le sommet d'une tour en plein vent mais c'est de ton souffle que s'échappe le sensuel quand tu murmurres entre les épingles de tes lèvres, à peine : laisse-toi faire.
Je ne sais pas d'où vient ce calme soudain qui a frôlé mon sein, et sur ma peau a laissé des traces de fil invisible. Des pointillés sur le bleu de mes veines. Oui, je vais bien et je souris quand je regarde ces empreintes en creux. Qu'importe finalement, le beau, le sublime - tout n'est plus qu'esquive. La vie c'est ce qui s'échappe.
Hier j'ai passé trois heures à essayer de régler une surjeteuse en pleine chaleur - la buée sur le verre de mes lunettes m'empêchant d'enfiler (putain de masque mais hein, bon). J'ai bien cru que j'allais crever là au soleil de l'atelier. Il y avait un problème avec la machine, d'entrainement du fil d'aiguille, mais je ne le savais pas, j'avais vraiment l'impression de faire de la merde. Comme quand je foire ces patrons à moitié digérés, ces crans, ces plis dogmatiques dont j'apprend la position arbitraire, sans me fier à mon instinct. Dans le cadre de cet apprentissage précis, une fois par semaine, où je me forme aux règles d'une couturière qui me téléguide les mains, ces moments où je ne lâche pas mon énergie dans le tissus pour permettre à un cri intime de se fondre dans la matière, ces moments de pure raison, ils sont comme un rappel. Tu m'as demandé pourquoi je m'acharnais sur ces bases laborieuses, hésitante à me livrer aux mouvements de l'âme. je t'ai répondu que j'avais trop de respect pour cet art et que j'avais besoin de sentir ma place - cette toute petite place. Je crois que ce que j'apprends, c'est de me confronter à la peur. De la saisir dans ce qu'elle a de plus logique. Mes petits poings, mes petits seins face à ce piédestal monument que je vais devoir abattre. Mais pas maintenant, pas tout suite.
Petite place, grand souffle.
De nos mains nous avons fait des épaves entre les mondes, dérives à la recherche de la vague qui nous submergera. A plusieurs, nous composons - nos doigts enlacés - infiltrés dans la trame de nos esquifs. Nous avons fait notre le vaisseau de Thésée, qui se défait sur chaque récif et que nous refaisons encore et encore. La vie elle-même, jusqu'à l'extinction. Cette peau est-elle toujours la même ? Je n'ai pas bu depuis des heures. Je n'hydrate plus les rayons du ciel. Je ne crois pas avoir peur. J'ai décidé hier de ne plus avoir peur. J'ai l'impression que je n'amènerai jamais rien à cet art que j'ai choisi comme radeau. Et pourtant et pourtant. J'ai au fond du ventre une alarme qui tous les matins me tire des limbes, à 5h45 précise. Je contemple l'océan à perte de vue, les plis d'écumes sur les crêtes. Mentalement je les assemble et les surjette en gouttes zigzag. Je les égrène dans la journée, lente en ma respiration. La patience des points, le liseré tiré. Ouvrir la couture devient presque surf. Je glisse en attendant que tout craque, que ça se fende, que ça se déchire en espoir avant les ténèbres qui envahissent et qui plisseront nos corps en cocottes papillotes. Pas de mélancolie ce matin. Un sourire, à peine.
Tu me dis : un point, c'est un point. Pas à côté. Dans le point.
Alors je fais un point, je refais un point, je défais ce point et je refais ce point, je boucle ce point, je noeud ce point, je tire ce point, je le pointe, le point, je renoue le point, je perce le point, le reperce et le transperce, le point. Je prends le point, j'ouvre le point, je file le point et je serre le point, je pique le point, je me pique le doigt, je repique le poingt. Point de répit : je me venge sur le point, je saisis le point, je jette le point, je me jette dans le point, je tombe dans le point je tombe dans le point j'accélère dans le point je vais trop vite dans le point je fonds dans le point je me dissous dans le point je deviens le point je suis le point .
What's the point ? We are the fucking point.
Tu m’as demandé pourquoi on voulait changer le monde avec des robes, réelles ou virtuelles. Un drapé de vecteurs ou de fils en cheveux d'or. Peut-être parce que je sais que nous ne sommes pas seules. Que tout ce que nous faisons impacte le visible, comme l’invisible. Et nous donnons ces peaux aux autres pour les vêtir d'intentions. On se demande si c'est souhaitable - ce serait comme faire des marionnettes à la merci des aiguilles, des folles Déesses. Je cille. Et je repense au toi-tigre et à nos héroines. Et tout ce qui nous reste - c'est cette eau. Quand la marée s'est retirée du sable où nous avons bâti nos chateaux, Soleil fait miroiter des perles de gouttes et je comprend que c'est tout ce que je sais faire : voiler l'astre. Le couvrir pour que nos yeux fatigués puissent le contempler et dans la grâce de son sourire accepter notre sort - dérivatives, nous les groupies du feu sur les trace de l'eau. Alors trouvons la source. Car nous sommes filles des étoiles et nous sommes assoiffées.
Le Péridot semble être partout dans ma vie en ce moment. Deux origines ont été proposées pour ce vocable : le mot arabe faridat (« pierre précieuse, perle »), ou, par métathèse, le mot latin paederos, dérivé du grec Παιδέρως, composé de παιδός (« jeune garçon ») et έρως (« amour »). D’après Pline l’Ancien, le paedéros « se trouve… à la tête des pierres blanches… et il est devenu, par privilège, synonyme de beauté… et mérite spécialement un si beau nom ; car il réunit la transparence du cristal, le vert particulier de l'air… Nulle pierre n'a une plus belle eau ; nulle ne captive plus agréablement et plus doucement les yeux ».
De nouveau réveillée par la pleine lune, il était cinq heures passées. J'ai pris un bain de rayons face à la fenêtre. Noyée dans son eau vespertine - et de mes cheveux mouillés j'ai tiré du fil que je vais coudre dans l'ouvrage du matin. Avant de les nouer, je les consacre dans la rosée de tes larmes, receuilliés dans la terre des plantes aux fenêtres. En les assemblant, je chante les visages des doux amies, aux mots dits, en flammes. Le tissé de cette robe sélénite est une trace magique, un soupir. Patiemment le souffle s'accomode du rythme des mains qui retracent la couture d'une face sur l'autre, endroit contre endroit, face lumière, face cachée. Elle aura le liquide du coulé de toi, Sélène, pour me couvrir pendant la prière. Pour me protéger et m'endormir quand le rêve se refusera. Je lui donne le nom de Nina, parce qu'elle te ressemble dans sa simplicité.
Oh mais je baille. J'ai encore sommeil !
L'espoir, l'espoir.
Le cri est sorti ce matin. Un vomi en mode full impuissance - des basses profondes qui ont bousillé toutes les hauteurs de voix que j’avais soigneusement travaillées et placées - et l’envie m’a pris de tout ruiner. Ce hachis dont je t’ai parlé, tu sais, c’était pas juste une expérience. C’était une intention. Alors, puisqu’on en est là, dans nos isolements, nos malentendus, nos attentes et nos terreurs, il faut se lancer.
Tout détruire dans l’atelier, sans méthode. Patrons déchirés, dessins en flocons. Renversement immature, aucune joie, aucune douleur. C’est moi toute entière qui s’éteint avec ma dernière plainte - se désintègre dans la forme.
Ne reste qu’un silence. Un lointain désir - éteint - sans plus rien qui bouge. Une fin d’adolescence hormonale.
On pouvait l'imaginer perdue, cette grâce infinie qui n'a de cesse de revenir frapper à la fenêtre, elle qui veut le chaud de nos sommeils et tout l'amour dont nous rêvons quand dans une couture de bleu nous disparaissons - c'est vertu cristalline comme la peau de tes mains usées. Comme, tu sais, le frottement.
J'avais peur de te toucher, grâce. Tendre les doigts et t'apprendre à en crever. Seule entre mes murs, j'ai plongé dans ton sourire pour l'ouvrir et tout laisser couler que je puisse le boire et me remplir de ta marée - refluante.
Est-ce que je suis devenue lune ?
De la buée sur la vitre, un croissant qui se ferme en cicatrice de soulagement. Je regarde mon ouvrage d'organza destiné à l'inachevement. J'ai eu si peur d'avoir perdu le chemin, mais tu frappes encore et je moi tu - oh la la.
En ta disparition, j’ai pris connaissance des nouveaux signes. Dans la présence de l’éternelle distance entre la tête et le coeur, je regarde tomber mes oripeaux. Je me suis dévêtue devant le miroir de Psyché, dans le reflet j’ai lu un geste ultime - défaire. L’investiture des espoirs, le désespoir des vêtus - phénomènes dans la distance où la classe devient essence, sublimée dans la torpeur. Toutes ces divinités m’apparaissent désormais pour ce qu’elles sont, en violet, en Prada, en rêve de fonctions. Moi, devant ma page blanche, entre le fil, le mot et le trait, je me débats dans la quête absurde de la grâce. L’approximation technique, je n’avais de cesse de la brandir comme étendard d’une sincérité. Elle devient soudain impasse. Pourtant la détermination, pourtant l’épreuve du feu de l’intérieur, le creuset tu vois, le vaisseau de terre où se dénude matière et intention, c’est un principe actif. Ça me dit : Prends soin de tes rêves. Ça me dit n’oublie pas le silence perpétuel du coeur.
Mistral toute la journée - drapé d’ombres sur le mur d’une chambre en boule de chaos. La terreur de tout précipiter, trop vite, trop profond. Comprendre avant de projeter. Je suis une apprentie. Je ne sais plus rien faire, à part peut-être poser ces mots en élan. Depuis que j’ai commencé à écrire ce journal, comme une sorte de retour à l’humilité après des années de scarifications de mon ego, je me suis posée la question du fantasmagorique et de l’incarnation. Dans quelle mesure ce que je formule peut se trouver piégé dans la matière. Comment mon désir, pur moteur de vie qui échappe sans cesse au contrôle, pourrait libérer le mouvement enlisé - et réconcilier les mondes, entre mes deux mains.
Les croiser en mon sein, intention.
Je t’écris de l'intérieur parce que ma sauvagerie vient des rideaux lourds que l’on tire vers soi-même. C’est vital pour me regarder dans une glace et apprendre à voir en travers de moi comment se place la peau qui hésite. Le danger de nos vies ne suffit pas. Les frissons naissent du miroir et nos poèmes des frissons. Cette obsession catégorique, lancinante et voluptueuse du pli sur un métal à vif.
Presque calme ce matin. L’émeute en dedans qui dit non non non et qui juge tout ce que font ces mains a décidé de fermer sa gueule. Une plainte limérente a eu raison de mes doutes. Des mots glissés cette nuit par désir, simplement, ont apaisé l’envie d’être - et le faire apparait dans son hybride. Le vêtement-écrit semble soudain plus proche de moi que le dessiné, parce qu’il ne cherche pas à montrer le lieu où se tisse la grâce mais la trajectoire vers. De mes réflexions ces derniers jours, quand le sommeil se refusait, quand je mélangeais tes paroles à ma frustration d’être passée à côté de tout, j’ai tiré un principe de transition perpétuelle, hypnagogique presque. Ce moment "entre" ------- traçant le passage d’un état du tissus à l’autre en flux de souffle le long d’une silhouette géométrique.
J’aimerai pouvoir t’expliquer pourquoi ça fait trois jours que je dors pas. Que c’est d’épuisement que je m’évanouis vers 4h du matin. J’ai dans la tête cette boucle de cri, une alarme qui me demande tout. C’est comme me percuter d’un coup, depuis l’intérieur de moi-même. De l’envers, puis pliée endroit sur endroit. Je cherche précisément où ça doit se coudre et c’est ce qui me tient éveillée dans le spectral - là il est deux heures vingt et je sais que rien n'est fait et que je vais défaire et refaire encore et encore, dans l'erreur, l'approximation. Il y a des fulgurances dans cette détresse. Des moments de paix où soudain le geste de haut en bas devient respiration, soupir. Prendre le pouls de cette robe, sentir la vie s'effilocher en compte à rebours. La batterie d'un souffle abandonné où se déploient les nénufars.
Je me retourne en geste d’esquive pour échapper à l'égrène d'un rêve de moi. Dans le mouvement son empreinte est un bâti léger - couches de toiles et d’existences où l’aiguille invisible se fend.
Réveillée dans des draps inconnus, en état de choc après être allée au bout de ce que je pouvais accepter de mon ego - ce cri qui ne sort pas encore tellement j’obsède l’écho. Je me demande ce qu’il peut y avoir après ça - ou bien non, je sais mais peut-être qu’il me reste une dernière chose à faire avant l’apprentissage. Un deuil, tu vois ?
Il y a des petits chats noirs sur la couette et dehors le soleil. Et je me demande combien de jupes j’ai en moi ce matin, à comprendre. Assise dans le mou, j’ai commencé l’ouvrage du jour en lenteur - un fond de migraine. Je trouve dans ma respiration l’attente patiente de ce moment précis où le fil craque, laissant le soupir refluer.
“All other things will eventually grow.
And at some point they will break.
And that’s ok.”
tu me demandais si ça devait se figer dans la grâce impossible ou si on pouvait se draper dedans, s’enrouler et marcher sans se faire un croche-pied. s’introduire dans le placard des autres, comme des petits rats qui font des nids avec des mouchoirs en papier. pour que le monde se sente bien et qu’on puisse chanter en écho dans la solitude de nos chambres chantier. tous les cris qui ont besoin de sortir. je me suis demandée, sincèrement, ce dont *moi* j’ai besoin : de bleu, c'est évident. mais aussi d'une pratique apaisée pour les autres. sortir de la pure contemplation, crever cette bulle où tout est toujours possible malgré les doigts en lambeaux et la poussière dans le visage. la peur de se perdre, ça paralyse. et pourtant, il y a deux mains : ici le visible, là, l’invisible et entre les deux toute cette transition qui ne cesse entre le placard et la bulle. peut-être qu’il faut accompagner ceux et celles qui grandissent.
et peut-être que le bleu, c’est le bonheur.
c'est comme me réparer tu vois. assise sur un coin de matelas, je reprise cette seconde peau et j'ai l'impression de me donner une chance. de frôler, de frémir - un tissus donnant élan à cet épiderme qui hésite. je te parlais de cette dimension invisible entre nous, bulles d'intime qui se déplient, gonflent et refluent quand soudain ta présence est trop. et ce vêtement sera ma seconde, ma troisième intention - expression dans la matière de toutes ces compositions invisibles qui me tissent sans cesse. le taux de rafraichissement de mon identité qui decélére.
from here we go sublime.
THE GATHERING OF FLOWERS
Wave of an handElectric blue is a color whose definition varies but is often considered close to cyan, and which is a representation of the color of lightning, an electric spark, and the color of ionized argon gas; it was originally named after the ionized air glow produced during electrical discharges, though its meaning has broadened to include shades of blue that are metaphorically "electric" by virtue of being "intense" or particularly "vibrant". Electric arcs can cause a variety of color emissions depending on the gases involved, but blue and purple are typical colors produced in the troposphere where oxygen and nitrogen dominate.
Bursts of red bags and gloves
Intimations of sacredness
Dark medieval
Interplay of opacities
Floating rhythmics
Kimonos
The codes of classicism and uniform dressing are the instruments
A grave severity, determination
Capes
"Semblable fusion de l'oeuvre d'art avec le cours de la vie quotidienne est le legs méconnu des expériences menées par Sonia Delaunay dans la thématique temporelle au cours des années 1910. Revenue à Paris en 1921, elle s'attache à réaliser plusieurs projets inscrits dans la temporalité : les "robes-poèmes" pour Tristan Tzara et Philippe Soupealt (1922-1923), les projets théatraux et chorégraphiques La danseuse aux disques (1923) et Le Coeur à gaz (1921), le film Le P'tit Parigot (1926) et la boutique Simultané présentée dans le cadre de l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Toutefois, on peut sans doute soutenir que son travail dans le champs temporel a trouvé sa manifestation la plus accomplie dans ses textiles et créations de mode de cette période. Ici, le simultanisme échappait aux confins de l'art et prenait pleinement part au monde, pour devenir comme Robert Delaunay le revendiquait, une "peinture vivante", créée et recréée par la personne qui la portait et l'utilisait au fil des années. Ses textiles simultanés fonctionnaient de la sorte, comme une forme de "matériaux à construire les prochains ensemble" (la formule est elle aussi de Robert) - réagissant au monde tel qu'il est, mais aussi participant au temps à venir." Juliet Bellow, Les couleurs de l'abstraction, 2012
"This rethinking of disposability has an anti-capitalist appeal, as does thinking of oneself as someone who is not only, always, a consumer in search of the next purchase. But in the same way that making sustainable clothing purchases is a privilege many cannot afford, it is a privilege to have the resources needed not only to mend something but also to take the time to make it beautiful. It is also a privilege to feel comfortable wearing clothes that are visibly worn, however beautiful the repair. We need to be careful not to romanticize the history of mending, a craft that has grown out of necessity."
glamour being an old witchcraft practice of setting intentions to allure - the nature of glamour, which is drawn primarily from the essence of human sentiment distilled from primal emotion, refined by post-contemporary occultniks
flowing
indulging the rush constantly
harvesting emotions and dream energies
plucked from the flowers
"La mode n'honore pas le projet poétique que lui permet son objet ; elle ne fournit aucun matériau à une psychanalyse des substances." Barthes, Système de la Mode, 1967
a reminder of surface attack : the question of violence in fashion appears irrelevant to glamour but the mask passes for a great equalizer : eyes become the focus. Once we accept the eyes as the soulful presence imbuing clothes, fashion becomes obsolete.
plongée dans un doomscroll des collections printemps-été 2021 calme en ses paupières, assise les jambes repliées en origami dans un gris jean serré. un pull noir de marin remonté aux avant-bras épouse son tatouage de vagues déliées jusqu'aux mains soulignant le visage - un doigt suspendu sur sa lèvre pour s'empêcher de vomir.